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Le déjeuner de soleil de Michel DEON
De Déon, on connait souvent ses romans d'apprentissage qui marquent au fer : Les poneys sauvages, Le jeune homme vert ou Un taxi mauve. Ce sont les produits d'appel, les incontournables. Il est dommage de ne pas aller encore au-delà. L'oeuvre est généreuse et variée, profitons-en !
D'une écriture ciselée, Michel Déon aime peindre une époque, son époque et témoigne d'un (bon) goût pour les relations humaines. Les analyses sont fines et lucides, l'homme n'est souvent bon que dans ses intentions.. et ce n'est déjà pas si mal dirait l'auteur avec ironie. Il n'aime rien tant que peindre les tourments de l'âme, les espoirs et les joies, les désirs et les asservissements : le propos est réaliste, mais tendre avec ses congénères. Car finalement, la chance de cette vie nous dira-t-il, c'est que nous aurons eu pour la plupart, la chance d'aimer.
Dans Un déjeuner de soleil, nous vivons les tribulations de Stanislas Beren, un écrivain "d'origine obscure mais au talent certain". Sa vie, ses ambitions, ses muses ou ses relations sont le lit de son oeuvre. La frontière est si ténue entre la réalité et la fiction. Un roman qui donne à réfléchir, tout en faisant voyager au sein de la vie littéraire française des années 20 à 70. On s'y croirait. Une réflexion inspirée sur le rôle et la contribution (essentiellle ou dérisoire ?) de l'écrivain dans la société.
D'aucun qualifieront Michel Déon d'auteur classique et conservateur. Sa vie passée d'île en île, en fait surtout un écrivain du voyage : de la Grèce à l'Irlande, de Saint Germain des Prés à la Coupole, du désir à l'amour profond, de l'amitié à la trahison, quel que soit le voyage, on en est ! Entre Paris et Galway, il s'essaie à retenir les bribes d'un monde qui s'évapore. Le vieux monsieur est charmant, mordant et généreux, ses livres aussi ! J'aime...
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Claire de femme de Romain GARY
Un livre lumineux sur le couple, sur Lui, sur Elle et sur ce qui les réunit et les déchire.
Romain Gary est un magicien, un funambule des sentiments qui réussit dans Clair de femme (même le titre ! n'est-il pas incroyable ?) à décrire cette 3ème dimension dans laquelle se rejoignent l'idéal, le rêvé, l'espéré et la réalité dans tout ce qu'elle a de cruel, de laid et de magnifique dans le quotidien de la vie à deux.
Le langue est belle, le propos brillant, le sujet du couple, difficile car si souvent traité. Mais cela fonctionne tellement efficacement ! Je relis ce livre une fois par an depuis au moins 10 ans, pour nourrir mon idéalisme de l'amour éternel, frotté au principe de réalité.
Clair de femme est une boussole pour ceux qui ne savent plus bien où se trouve la réalité de l'amour, dans les ressentis qui s'émoussent, dans le quotidien qui abîme souvent, ou dans les velléités d'un idéal transcendé. Un clair-obscur sans réponse toute faite, mais dans lequel on se retrouve quand on cherche un mode d'emploi ou à minima, un témoignage qui résonne. C'est pour moi, le propre d'un bon livre : il résonne. Même quelques années après sa première lecture.
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03
L'inespérée de Christian BOBIN
"J'espère que mon coeur tiendra sans craquelures" : tout Bobin tient dans le titre de l'une des nouvelles de L'inespérée. C'est de la poésie, une mélodie douce et envoutante qui fait mouche à chaque fois. Ce reccueil de nouvelles est pour moi, un nuancier de couleurs et me laisse enroulée sur moi-même car il anihile toute enviequi n'est pas profonde et sincère. Une touche de mauve ou de vieux rose pour colorier la nostalgie et la douceur, si présentes dans les mots de Monsieur Bobin.
"Cela fait bien longtemps que je ne sors plus sans toi. Je t'emporte dans la plus simple cachette qui soit : je te cache dans ma joie comme une lettre en plein soleil." Parce que Bobin décrit les sentiments avec des éléments de tous les jours, parce qu'il sait mieux que personne, mettre des mots sur les maux et que cela ne rend pas triste, mais immensément enthousiaste, j'aime ce livre plein de soleil, comme celui sous lequel est la lettre de l'inespérée. A lire, relire et à offrir !
04
L'urgence de JP TOUSSAINT
Lire ce livre, c’est entrer dans le laboratoire de l’écriture, teinté de la passion qui tenaille le laborantin qu’est JP Toussaint, mais également de sa sueur, de ses difficultés et de ses sujets qui l’habitent jusqu’à ce qu’ils soient couchés sur le papier.
Il retrace le fil de l’histoire sur la durée, en mettant en perspective ces deux émotions qui cohabitent dans le travail de l’écrivain : « L'urgence, qui appelle l'impulsion, la fougue, la vitesse, et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l'effort. Mais elles sont pourtant indispensables l'une et l'autre à l'écriture d'un livre, dans des proportions variables, à des dosages distincts, chaque écrivain composant sa propre alchimie, un des deux caractères pouvant être dominant et l'autre récessif, comme les allèles qui déterminent la couleur des yeux. »
Parfois poétique, souvent pragmatique, ce texte court et facile à lire, donne la part belle aux rencontres y compris soi-même. Parce que le propos est sincère et ça se sent, quand JP Toussaint raconte sa plus belle rencontre personnelle, ce besoin impérieux d'écrire qui lui est venu subitement, entre Bastille et République, dans un bus. Une envie, un besoin qu’il communique efficacement, puisqu’à la fin du livre, l’envie me saisit à chaque fois, insidieusement et délicieusement.
05
Soyez imprudents les enfants de Véronique OVALDE
Ce sont d'abord des titres qui sonnent comme des promesses : découvrir la grâce des brigands, aller à la rencontre du vaste monde avec Paloma, suivre l'injonction d'imprudence faite à la trop sage Anastasia ou encore, suivre Vera Candida.
Mais c'est aussi, un univers qui ne ressemble à aucun autre : empreint d'une douce folie, Véronique Ovaldé créé un monde onirique en s'appuyant sur la réalité dans ce qu'elle a de plus cru, en mettant en scène des situations tordues pour peindre la vie et ses turpitudes. Ses personnages sont rafistolés, mais tellement humains. Et cela fonctionne, même si souvent, on se demande comment cela peut tenir sur 2 pieds!
J'aime cet univers un peu foutraque, ces personnages abîmés à tel point qu'on se demande si Véronique Ovaldé en a rêvé, ou bien si elle les a rencontrés dans "la vraie vie" !
Et puis il y a ce titre qui sonne comme une boussole, un mantra de développement personnel qui résonne particulièrement en ces temps où ceinture et bretelles sont accessoires courants. Soyez imprudents et lisez du Véronique Ovaldé ! Ca secoue et ça fait du bien d'être secoué. Pour ma part, à chacun de ses livres, je voyage, j'apprends et je m'évade dans le monde qu'elle choisit d'investiguer. Un environnement différent à chaque fois ! Car c'est cela aussi un bouquin d'Ovaldé, une surprise.
06
Les mains du miracle de Jospeh KESSEL
Des chevaux lancés à brides abattues dans les steppes australes, des hommes, des vrais, bruyants et saouls, des coutumes barbares venues de l'autre bout du monde, le sens de l'honneur, la loi du sang, l'authenticité des sentiments et une rigueur journalistique dans la description. Voici quelques éléments de la littérature de Joseph Kessel. Mais pas que.
Les mains du miracle, cet ouvrage trop peu connu de lui, m'a ouvert les yeux sur cette sensibilité exacerbée mise au service de l'histoire et dans ce cas comme souvent dans ses livres, de l'Histoire. J'aime Kessel dans sa violence si peu contenue, dans sa capacité incroyable à faire vivre le temps de quelques pages, dans les steppes d'Asie, en Israël ou dans la savane africaine, des aventures loins de notre quotidien. Je vis des épopées, je vibre avec ses personnages et je ferme ses livres en me sentant vivante. Ses livres sont à l'image de sa vie passionnante : extrêmes et vibrants !.
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La maladie de Sachs de Martin WINCKLER
Bruno Sachs soigne les maux, tous les maux. Les maladies graves, les bobos, les bleus à l'âme et la solitude aussi... C'est un médecin de l'Homme et de l'âme, du corps et du coeur. Un de ceux que l'on aimerait croiser quand on en a besoin. Il ne compte par son temps et ne semble intéressé que par ses patients. De consultations en visites à domicile, une vie se dessine. Une vie dédiée aux autres.
A travers les témoignages de patients, amis, familles, femme de ménage , petit à petit la personnalité du Docteur Sachs apparaît.
Ce qui le sauve : les mots. Avec OT cette fois-ci. Car le Docteur écrit. Pour sa santé mentale, son équilibre, son plaisir. Et pour notre plus grand bonheur.
Ce livre est pour moi, un exemple du genre pour sa capacité à nous faire vivre une vie de l'intérieur, un "vis ma vie" pour apprenti médecin. Le portrait convainc et émeut, fait réfléchir aussi. Sur la réalité de la vie de médecin, sur les souffrances humaines et sur le rôle des mots dans nos vies. Car les mots au-delà d'être utiles, peuvent guérir aussi..
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La pitié dangereuse de Stefan ZWEIG
Anton Hoffmiller, jeune lieutenant pauvre de l'armée d Autriche, se marie à son corps défendant avec Édith, une fille de bonne famille fortunée et invalide. Par pitié, le voilà entraîné dans ce mariage sans amour, harcelé par la capricieuse jeune femme malade, et défait de sa vie toute entière pour avoir voulu ne pas faire de peine.
J'ai découvert ce livre à l'adolescence, l'âge où il est si facile d'être entraîné tout entier, dans une cause, une passion ou une personne. Il m'a marquée au fer rouge par la justesse de l'analyse, le réalisme de la description et la véracité de la thèse. Car oui, la pitié peut être dangereuse, même si aux premiers abords, les deux mots ne font pas forcément bon ménage. La pitié ne construit pas; la pitié est passive, subie souvent et n'est bonne ni pour l'une, ni pour l'autre des parties. L enfer est pavé de bonnes intentions, mais aussi de mauvaises.
Roman tres noir, le seul que Stefan Zweig ait terminé. Un roman-témoin qui agit comme une alerte.
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Lettre à Laurence de Jacques de BOURBON BUSSET
Dans cette lettre bouleversante de simplicité, Bourbon Busset s'adresse à Laurence, sa femme disparue. Les joies, les douleurs, les obstacles et les victoires émaillent ce texte intime et universel à la fois. A travers les mots, apparait celle qu'il avait tendrement surnommée le Lion, son lion. Un visage, un caractère, mais également l'autre facette d'une même pièce.
Un si joli texte sur l'amour conjugal. Ni angélique, ni même mièvre, mais réaliste et concret. Et finalement la leçon à tirer de cette lettre interceptée par le lecteur, c'est que toute union se construit dans l'obstination, la volonté et la gaieté. Car sans cette dernière, même l'amour peut être ennuyeux : 'Sans un amour profond le temps est, en effet, bête comme une voie de chemin de fer. On y va de gare en gare. L'amour change la couleur du temps. Des points lumineux s'allument, s'éteignent, se rallument après des années.''
Le style peut sembler classique, le propos l'est moins. L'académicien se met à nu, dévoile sa femme, sa muse, sa raison d'écrire. Le propos n'est pas que personnel, mais aussi professionnel : 'J'écrivais pour toi. Je continue. Je te lisais la page. Maintenant, je m'adresse à toi. Je cherche à me prouver ainsi que mes mots sont capables de t'atteindre, même s'ils restent sans écho'.
Je vous encourage à lire ce texte court, dans la même veine que Lettre à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, de ces textes qui font grandir, réfléchir et qu'il est doux de lire et relire au fil du temps, et des évènements de nos vies.
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Tendre est la nuit de Francis Scott FITZGERALD
Parce que j'ai dû choisir l'un de ses textes, j'ai choisi Tendre est la nuit, mais j'aurais pu aussi choisirde vous parler de Gatsby. Lire du Fitzgerald, c'est ouvrir la porte sur une époque, les années 20; une folie, celle de l'épouse de l'auteur qui transpire partout et ne manque pas de teinter les relations entre les protagonistes d'une douce nostalgie, d'une violence propre à la maladie ; un désespoir enfin, impossible à museler, car l nait de l'impossibilité pour les personnages, de faire des choix.
Cap d'Antibes, années folles, tourbillon de plaisirs qui masquent les souffrances, les ingrédients sont efficaces et la prose est belle : "On dit des cicatrices qu'elles se referment, en les comparant plus ou moins aux comportements de la peau. Il ne se passe rien de tel dans la vie affective d'un être humain. Les blessures sont toujours ouvertes. Elles peuvent diminuer, jusqu'à n'être plus qu'une pointe d'épingle. Elles demeurent toujours des blessures. Il faudrait plutôt comparer la trace des souffrances à la perte d'un doigt, ou à celle d'un œil. Peut-être, au cours d'une vie entière, ne vous manqueront-ils vraiment qu'une seule minute. Mais quand cette minute arrive, il n'y a plus aucun recours".
Tendre est la nuit, c'est l'histoire du couple formé par un psychothérapeute, Dick, et une jeune femme fragile qui se remet de troubles mentaux importants, Nicole. Rosemary, une jeune femme tombée sous le charme de Dick, fait la connaissance de ce couple qui semble si parfait. Nicole et Dick sont envoûtant de perfection. Mais les liens du couple se désagrègent petit a petit au fil des chapitres, sous le regard de Rosemary Hoyt, mais probablement pas seulement à cause d'elle.
Un roman dévastateur et secouant.