Les furies de Lauren GROFF

Ce livre a beaucoup fait parler de lui, sans doute, trop : pleines pages dans la presse, « meilleur livre de l’année pour Barak Obama », LE livre sur le couple ! Les superlatifs n’étaient pas trop nombreux pour décrire cet ouvrage sur la vie conjugale d’une jeune américaine de 39 ans dont le visage sur les nombreuses publicités, n’a rien à envier à une égérie L’Oréal. C’est vous dire l’impatience mais aussi la méfiance avec lesquelles je l’ai entamé. Éternel problème des « best sellers », ces livres que tout le monde a lu ou que tout le monde doit avoir lu !

Une histoire banale, celle de Lancelot (Lotto pour les intimes) et de Mathilde : rencontre coup de foudre très jeunes, un mariage dans la foulée. Lotto et Mathilde sont jeunes et beaux. Rien de bien exceptionnel, si ce n’est qu’il se dégage de leur couple, une aura magnétique qui attire à eux, des personnages de tous poils permettant ainsi à l’auteur de peindre une société américaine typique, tant dans ses travers que dans ses atouts. D’autant que Lotto tente de devenir acteur avant de devenir auteur de pièces dramatiques à succès et devient ainsi, une figure de Broadway. Mathilde quant à elle le soutient, fait vivre le ménage pendant les années creuses grâce à son travail dans une galerie d'art. Jusqu’à la déchirure. Au fil des révélations, le récit devient fascinant. Troublant. Entre le personnage lisse, bien-né et idéaliste de Lotto et les failles et la complexité du personnage de Mathilde, l’auteur fait voler en éclat la légende de l'amour-fusion, égratigne sérieusement le rêve américain et radiographie une société qui se cherche des valeurs, un idéal impossible à atteindre.

Mais Les furies, c’est surtout l’étude au scalpel des vingt-trois années de la vie d'un couple dans une construction originale, à travers les regards des deux protagonistes. Dans un premier temps, son regard à lui, Lotto; une vie tendue vers l’art et son idéal, du beau et du désir, une vie racontée à travers le filtre de la quête d’absolu. Puis dans la seconde partie de l’ouvrage, c’est elle, Mathilde ou Aurélie, car les non-dits sont trompeurs (je ne vais tout de même pas tout vous raconter !), qui relit ce mariage sous un autre jour, sombre et plein de révélations. Lotto et Mathilde Satterwhite sont-ils vraiment ce qu’ils semblent être ? Rien n’est moins sûr. Car les deux versions totalement différentes d’une même période de vie, soulignent l’impossible fusion du regard, l’incontournable ajustement de chacun, la perversité des non-dits et des mensonges dans la vie à deux.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la vie conjugale ou la difficulté à composer avec deux réalités d’un même événement, deux caractères, deux histoires, deux névroses et constituer ainsi, un couple : « Entre leurs deux peaux, le plus fin des espaces, à peine assez pour l’air, pour ce voile de sueur qui à présent refroidissait. Et pourtant, un troisième personnage, leur couple, s’y était glissé. »

L’histoire semble simple au départ, la vitrine est belle et empreinte de normalité, les protagonistes sont lisses, le temps passe et la réalité est trompeuse. Surtout quand il s’agit de tenir dans la durée. Lauren Groff a tiré le trait, creusé les souffrances et augmenté les secrets de chacun, mais l’exercice analytique de la vie conjugale est réussi.

Pour autant, si je reconnais l’habilité de l’exercice, le grand art de la construction de l’ouvrage, les ficelles sont parfois, trop grosses et les deux parties à mon sens, inégales. A l’image sans doute, des forces en présence. Heureusement, c’est dans la seconde partie que trompe-l’œil, creux et obscurités se dévoilent avec une intensification de la narration et de l'intrigue. Le style fluide, un peu pompeux parfois, nourrit l’impression pénible à certains endroits, d’exercice imposé. La réalisation demeure stupéfiante et impose le respect, d’autant qu’en avançant dans l’ouvrage, on a réellement envie de tourner les pages.

Soyons honnêtes, Les Furies vous emmène bien plus loin que ce que vous pouviez imaginer au départ et vous fait toucher du doigt combien derrière les apparences, dans toute histoire d’amour il y a ce qui ne se voit pas, ne se dit pas et ne s’entend pas. A ce titre, il vaut d’être lu. A vous de me dire ce que vous en pensez….

Editions de L'Olivier - 2017.

Marine de Scorbiac, BOOKinade