Brillant comme une larme
- Marine de Scorbiac

- 24 févr. 2020
- 3 min de lecture
Je suis de celle que les biographies galvanisent et inspirent. Au-delà de l'oeuvre présentée, elles donnent à voir l'envers de la légende de celui ou celle dont le portrait vous est livré. Elles offrent une profondeur, une perspective nouvelle sur l'oeuvre ou la réalisation du héros célébré et l'inscrivent dans un contexte, dans un temps.

Brillant comme une larme est de celles-ci : la vie éclair d'un talent précoce (2 romans à succès dont le fameux Le Diable au corps, publiés alors qu'il n'avait pas 20 ans ...), une plongée réjouissante dans le Montparnasse culturel du début du siècle et la magie de la création littéraire. Car au-delà du parcours de l'éternellement jeune Radiguet, on croise Max Jacob, Coco Chanel, Modigliani, Jean Hugo, Georges Auric, Misia Sert, Francis Poulenc ou Arthur Honegger. Et celui qui sera à la fois père, frère, ami et amoureux transi sans retour, Jean Cocteau. Le poète tombe littéralement sous le charme de ce jeune génie qu'il va accompagner, materner, guider jusqu'à sa fin.
Car le jeune homme est un talent brut et Cocteau l'a deviné : "Raymond possède un sixième sens développé: il sait ce que l'autre, face à lui, ressent et pense. Il lit dans le cœur des êtres qu'il croise. Et sa grande intelligence lui permet d'identifier et de cerner les zones les plus obscures. De savoir ce qui es tu." Le jeune homme se lance dans le journalisme à l'âge de 15 ans, se lie d'amitié avec les grands de la vie parisienne, vit de nombreuses aventures sentimentales et publie Le Diable au corps. Le livre est un grand succès de librairie et plus de 100 000 exemplaires sont vendus en trois mois. Le jeune homme aura le temps de terminer son 2nd ouvrage, Le Bal du Comte d'Orgel, publié à titre posthume.
La légende de Raymond Radiguet tient dans ce parcours d'étoile filante, qu'il pressentait depuis son plus jeune âge, et qui lui a donné cette rage de vivre intense et sans limites. Il savait qu'il avait de grandes choses à accomplir mais peu de temps pour y parvenir. Il "ose, il pousse les portes, il saute par-dessus les barrières avec un naturel déconcertant " et s'offre ainsi 20 ans de concentré de vie.
Jeune et l'on pourrait penser, immature, il impressionne tant par sa vie dissolue, sa consommation

illimitée de substances de toutes sortes, ses nombreuses aventures féminines, mais aussi par sa ténacité, sa force de travail. « Rien de moins ordonné que sa vie extérieure, écrira plus tard son ami Joseph Kessel, mais rien de plus harmonieux, de plus équilibré, de mieux construit et de mieux protégé que sa vie intérieure. Il peut traîner de bar en bar, ne pas dormir des nuits entières, errer de chambre en chambre d’hôtel, son esprit travaillait avec une lucidité constante, une merveilleuse et sûre logique. »
Car Radiguet c'était surtout, une force créatrice associée à une rigueur et une force de travail incroyables. Sans parler de sa passion inextinguible pour les livres, les "seuls [qui] lui offrent une respiration qui lui fait oublier de flirter avec le danger, de redouter la banalité et qu'il lui faut vivre , intensément, se brûler avec méticulosité, pour justifier l'existence."
Biographie efficace et bien documentée, l'ouvrage de de Jessica L.Nelson a réussi le pari de me faire rencontrer Raymond Radiguet au-delà de sa légende. Si l'écriture n'en est pas exceptionnelle, elle est fluide et suit le rythme bondissant d'une vie certes courte, mais si pleine de vie. On touche du doigt la tension littéraire et la folie créatrice de ce début de siècle, de ce gamin génial qui aura laissé derrière lui, un sillage scintillant. Une folie amplifiée par l'ombre de la guerre et l'urgence de vivre.
Brillant comme une larme de Jessica L.Nelson - Albin Michel. Décembre 2019.



Commentaires